jeudi 6 septembre 2012

Un signe des temps


J’ai lu récemment dans la Revue Sainte Anne un article de M. Réjean Bernier. Cet auteur y assure une chronique sur les « signes des temps ». En septembre, il traite du « printemps érable ». Le tout a commencé par la protestation des étudiants contre l‘augmentation des droits de scolarité. Mais peu à peu des gens de tous les âges, conditions et allégeances se sont joints aux marches et en ont organisé d’autres. Et le tout a fleuri en ce qu’on a appelé le « concert des casseroles ». En somme, « différentes générations se sont levées pour marcher… sans toujours savoir précisément pourquoi. »  Cherchent surtout à s’y dire un désarroi, une souffrance, une fatigue de tous ces discours fatalistes et de tant de mauvaises nouvelles. Et quand on n’a plus de mots, on descend dans les rues et on fait du bruit.

M. Bernier a intitulé son texte : « Il se passe quelque chose » : un quelque chose « peut-être au-delà des enjeux socio politiques-économiques ». Il y a diagnostiqué une impatience spirituelle. L’être humain ne peut pas vivre seulement au rythme du métro-boulot-dodo, ni se rassasier de cola et de croustilles. Il y a au fond du cœur humain un désir, une recherche, un besoin de se lever, de se tenir debout, de se mettre en marche, de s’unir à d’autres pour affirmer et défendre certains idéaux.

La marche est un phénomène mondial. On connaît la marche terrifiante des réfugiés, victimes de systèmes guerriers ou économiques qui les appauvrissent alors que quelques-uns s’enrichissent. On connait aussi la marche des pèlerins de Compostelle qui cherchent seuls ou en groupes un sens à leur vie et leurs raisons de vivre. L’être humain est en quête de son humanité, de son cœur, de sa solidarité, de sa compassion. Il est en quête de bonheur, de repos, de paix et d’unité.

Je vois dans ces recherches souvent inarticulées et obscures de vouloir-vivre dans plus de solidarité, de partage et de respect mutuel quelque chose qui évoque, à son niveau, et avec ses scories, ce que saint Paul appelle des gémissements : sons inarticulés, plaintes, révélations de souffrances secrètes, appels à autre chose, cris de détresse. Il écrit : « Toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps. […] Pareillement l'Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables. »

Ces mouvements intimes qui se traduisent en gémissements de la création tout entière, l’humanité y étant intimement impliquée et l’Esprit-Saint en y étant la source, ne sont pas toujours faciles à bien interpréter car ils restent toujours ambigus. J’y entrevois toutefois quelque chose de ce que saint Augustin a essayé de nommer en affirmant : « Tu nous as fait pour Toi et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en toi. » Cette quête de Dieu est inscrite dans le cœur humain. Car l’humain porte une nostalgie de son origine, une hantise de ses raisons de vivre et l’exigence d’un but à ses cheminements et errances.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau