jeudi 19 avril 2012

La tribu à l’ère numérique

J’entendais récemment à la radio le compte-rendu de recherches sur les effets sur notre mémoire de n’avoir plus besoin de nous souvenir d’une foule de choses : nous trouvons tout en quelques clics sur le réseau Internet. Est-ce que tous ces nouveaux moyens de communication que sont les multiples et sans cesse variantes techniques des médias sociaux sont en train de faire de nous une nouvelle tribu : celle de l’ère numérique? Est-ce que ces techniques provoquent une certaine courbure de notre esprit, de notre mémoire, de nos sens pour faire des fervents de leur usage une nouvelle sorte de groupe humain?

Voilà une question qui mérite réflexion il me semble. Déjà elle me hantait en 1972. Les réflexions stimulantes et déroutantes de Marshall McLuhan dans la Galaxie Gutenberg, puis dans le Village global soutenant que nous revenions à la conscience pré-alphabétique de l’univers magique, me conduisaient à me questionner : « Est-ce que nous revenons en arrière de ce qui a produit toute notre civilisation : la culture grecque et son effort pour arracher l’humanité à la fascination de l’image et du mythe? Est-ce que par ces techniques nous rejoignons l’anonymat dépersonnalisé et communautariste d’avant l’arrachement de la pensée, de la raison et de la liberté de la glu (ou du terreau?) des images et de la collectivité? »

Et je me formulais cette question angoissante: « Face à cet apport fantastique d’images, face à ce qu’on appelle ce retour à la situation mythique, faut-il renoncer à l’acquis de toute notre tradition occidentale? Faut-il renoncer à l’esprit critique, au jugement personnel? En somme, est-ce que ces moyens de communication sociale sont déshumanisants? » Il me semble que cette interrogation est encore plus vive aujourd’hui, en particulier à cause de la rapidité des échanges multiples qui se vivent jour et nuit dans les nouveaux médias sociaux.

En 1972 aussi un document qui faisait suite à Vatican II posait de semblables questions : « Étant donné que les moyens de communication sociale incitent l’homme à l’évasion et à la rêverie, comment faire pour qu’ils ne le détournent pas de la vie réelle et de ses tâches? Comment éviter le laisser-aller, la paresse et une certaine atonie mentale? Comment empêcher enfin que l’incessante excitation de la sensibilité n’entrave l’exercice de la raison? »  En 2011, un congrès international est revenu sur ce document et sur ces questions.

Nous sommes dans l’année marquant le 50ième anniversaire du début du Concile Vatican II. Les situations de notre monde ont beaucoup changées. Les médias électroniques et surtout sociaux sont devenus des facteurs importants de mondialisation. Quelles sortes d’effets ont-ils sur nous?

Qu’en pensez-vous? Devenons-nous une nouvelle tribu où la proximité, l’intensité de nos relations et l’influence des médias électroniques font de nous des individus perdus dans une masse? Devenons-nous une « foule solitaire »? Ou bien ces merveilleux moyens de nouvelles relations humaines sont-ils de puissants facteurs d’humanisation de notre humanité en convergence sur elle-même pour prendre conscience de sa fraternité universelle et la bâtir jour après jour?

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau