mardi 20 mars 2012

Réparateurs de brèches et Restaurateurs de ponts

Un texte du grand prophète Isaïe me bouleverse. Dieu y affirme ce qu’il attend de nous: « Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes, si tu donnes de bon cœur à l'affamé et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et ton obscurité sera comme la lumière de midi.  Le Seigneur sans cesse sera ton guide. En plein désert, il te comblera et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien arrosé, comme une source jaillissante dont les eaux ne tarissent pas. Tu rebâtiras les ruines antiques, tu relèveras les fondations des générations passées, on t'appellera le Réparateur de brèches, le Restaurateur qui remet en service les routes. »

On parle beaucoup des ponts qui tombent, de ceux qu’il faut réparer de toute urgence, de ceux qu’il faut entièrement reconstruire. Chacun sait que les ponts sont essentiels à la circulation des personnes et des biens de touts sortes dans le village, entre les villes, à travers la province. Ce sont des liens essentiels pour assurer les communications de toutes sortes entre les humains. Aussi nous savons comment il est nécessaire de sans cesse entretenir ces routes, réparer ces ponts, boucher les brèches qui peuvent se creuser dans l’asphalte et piéger la circulation.

Mais on ne parle par souvent des ponts détruits, les routes abandonnées parce que trop saccagées, les brèches terribles qui sont autant de balafres sur le visage et les cœurs de tant de couples, de familles, de villages, de pays entiers. Je pense à toutes ces personnes mises au rancart par notre société, marginalisées parce que pauvres, différentes, malades, vieilles souffrent de ces déchirures. Il y a des brèches terribles dans notre tissu social et humain. Les ponts de nos relations humaines sont souvent rompus ou au moins distendus au point de se rompre. Que de souffrances alors, de larmes, de solitudes, de rejets!

Et il ne faut pas être myopes et avoir les yeux et le cœur fermés sur la situation de toute notre planète. Elle est profondément déchirée. On parle maintenant même de quart-monde. Il y a la minorité plutôt à l’aise qui profite en abondance des ressources de toutes sortes de notre terre et les gaspille sans vergogne. Puis il y a les multitudes considérées comme engluées dans leurs misères et leurs maladies, que nos préjugés stigmatisent en affirmant qu’elles sont responsables de leur sort. Et plus on regarde le tissu de notre planète qu’on dit en voie de mondialisation, plus on voit la grande mission que le prophète déjà transmettait au nom de Dieu il  y a plus de 2600 ans et qui est encore tellement actuelle, toujours plus actuelle.

Par ces textes repris dans la liturgie des messes du carême, Dieu nous invite aujourd’hui à devenir des Réparateurs de ces brèches et des Restaurateurs de ponts. Il nous convoque à changer nos regards et nos habitudes envers nos frères et sœurs les humains. Il nous demande d’ouvrir les oreilles de nos cœurs pour entendre le cri de misère qui monte de l'humanité, d’ouvrir les yeux de nos cœurs à tout ce spectacle de la détresse humaine, aux larmes et au sang versé : aux affamés, opprimés, pauvres, tous ceux et celles qui sont les captifs de la mort et de la misère.

Mais quel est le pont le plus urgent à restaurer, la brèche la plus grave qui cause toutes les autres et donc qui appelle d’urgence notre attention? L’urgence primordiale est de réparer la brèche entre Dieu et les humains, de refaire les ponts entre Dieu et notre humanité. C’est d’ailleurs ce que Dieu cherche à faire depuis les origines, où après avoir demandé à Caïn où est son frère et ce qu’il a fait de son sang, il a mis le signe protecteur sur la tête du meurtrier de son frère afin que la spirale de la violence, de la haine, de la destruction n’éclate pas. Mais tout de suite apparaît la haine plus forte que l’amour et le pardon. Sans cesse Dieu essaie de réparer la brèche. C'est toute l’histoire des relations entre Dieu et nous les humains, pour notre vie et notre bonheur : Dieu qui essaie d'ouvrir une route dans ce désert de souffrances, de misères dont nous avons tous une parcelle dans notre cœur. C’est cela l'essentiel.

Notre Bible nous dit qu’à la source du drame de l'humanité, il y a cette brèche: moins les humains regardent vers Dieu, plus ils deviennent meurtriers les uns pour les autres, chacun  s'accrochant à ses biens, au pouvoir qui est le sien. Plus l'homme veut être le centre de tout, plus il  blesse et tue autour de lui. Moins on regarde Dieu tel qu'il est, tel qu'il s'est révélé dans le Christ Jésus qui est notre véritable Chemin et le Réparateur de nos brèches, plus on devient face aux autres tentés par cette volonté de garder ses privilèges et son pouvoir, sources de cruauté, d'injustice, de sang versé, de mort. Il suffit de regarder la télévision et de lire les journaux pour le constater, si on sait voir ou lire.

Être Réparateur de brèches et Restaurateur de chemins défoncés et ruinés : voilà notre mission face à Dieu et face à l’humanité. Et n’oublions surtout par cette brèche originelle et foncière, cause des autres, qui fait qu'entre le Dieu et nous il y a l’amitié, pourtant essentielle, qui est rompue. Nous sommes appelés par notre humanité même et encore plus par notre baptême à être des restaurateurs de l’authentique relation entre Dieu et l'humanité, qui sera source de vigueur, de générosité, de joie de vivre, d’amour et de paix dans la solidarité et la justice débordant en miséricordes venant du cœur.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau