mercredi 29 février 2012

Le jeûne : ouverture de notre cœur et de notre bourse

Il existe bien des sortes de jeûnes et bien des motifs divers de jeûner. Les prescriptions de jeûnes pour raisons de santé pullulent et des recherches  justifient scientifiquement ou mettent en question leur réels effets bénéfiques sur la santé. On connaît aussi les jeûnes pour des causes politiques, pour la défense des droits, pour imposer à l’opinion publique des causes jugées particulièrement cruciales ou urgentes. On parle aussi de jeûne dans les philosophies matérialistes ou athées.

On connaît peut-être moins maintenant les jeûnes religieux. Pourtant, toutes les religions, aussi bien les rites traditionnels d’initiation que les grandes religions qui façonnent la culture des peuples, ont des pratiques de jeûne. Quel en est le sens dans la tradition judéo-chrétienne?

Jésus a parlé du jeûne et a demandé qu’il se vive comme une pratique qui part du cœur et qui exprime la compassion pour les plus faibles : « Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu'ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez‑vous des trésors dans le ciel: là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur. »  Nous ne jeûnons pour tout simplement économiser de l’argent que nous accumulons ! Nous jeûnons afin de nous souvenir que nos vies comme celles des pauvres sont dans la main de Dieu qui est bon, miséricordieux et juste et qu’il nous demande de faire comme lui et de partager.

Jésus nous affirme même que c’est sur ce critère que nous serons jugés à la fin de notre vie : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir.  Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand nous est‑il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir,  malade ou prisonnier et de venir te voir?  Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.

Mais Jésus a reçu de son peuple cette tradition et ce sens du jeûne religieux. Depuis Abraham, on y désire faire ce qui plaît à Dieu. Mais en même temps on se demande ce qui, venant de nous, plaît vraiment à Dieu. Les réponses furent diverses. Mais une des réponses essentielles fut le culte qu’on lui rend. Toutefois, les prophètes ont sans cesse répété au peuple que le culte qui plaît Dieu n'est pas toujours celui que l’on croit ; et bien sûr qu’il faut un culte, mais il ne faut pas s’en contenter et surtout ne pas en perdre le sens pour le réduire à un ritualisme vide. Le jeûne faisait partie de ce culte, d’où une tendance à des jeûnes spectaculaires avec le sentiment très frustrant que Dieu n'est pas encore content de nous malgré toutes ces restrictions. Alors le prophète n’y va pas avec le dos de la cuiller ! Il rappelle que le Dieu que l’on sert est un Dieu libérateur, qui a arraché le Peuple opprimé de son dur esclavage et des menaces d’extermination. Nous devons l’imiter et avoir comme lui compassion, miséricorde, sensibilité et sens de la justice envers les opprimés et humiliés de toutes sortes. Dieu s’est donné avec tendresse et bonté pour faire justice aux opprimés. Nous avons à faire de même. Voilà le jeûne qui lui plaît. Le texte prophète qui suit est clair et mérite une lecture attentive. À travers ses hurlements  et ses cris pour nous réveiller et à l’aide aussi de ses évocations poétiques pour nous encourager, il dit clairement des vérités fondamentales que nous risquons toujours d’oublier. Car il est tellement actuel non seulement pour notre vie personnelle, mais aussi pour notre vie comme société riche dans une humanité en voie de mondialisation où des milliards, dont souvent nous exploitons à notre profit les ressources naturelles, meurent de faim, de soif, de maladies et de misères de toutes sortes en face de notre indifférence, de notre refus de voir, de notre cœur cadenassé et insensible!

« Crie à pleine gorge, ne te retiens pas, comme le cor, élève la voix, annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses péchés. C'est moi qu'ils recherchent jour après jour, ils désirent connaître mes voies, comme une nation qui a pratiqué la justice, qui n'a pas négligé le droit de son Dieu. Ils s'informent près de moi des lois justes, ils désirent être proches de Dieu. "Pourquoi avons‑nous jeûné sans que tu le voies, nous sommes‑nous mortifiés sans que tu le saches?" C'est qu'au jour où vous jeûnez, vous traitez des  affaires, et vous opprimez tous vos ouvriers. C'est que vous jeûnez pour vous livrer aux querelles et aux disputes, pour frapper du poing méchamment. Vous ne jeûnerez pas comme aujourd'hui, si vous voulez faire entendre votre voix là‑haut! Est‑ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie? Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est‑ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable à Yahvé? N'est‑ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère: défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs? N'est‑ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre  chair? Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Yahvé te suivra. Alors tu crieras et Yahvé répondra, tu appelleras, il dira: Me voici! Si tu bannis de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes, si tu te prives pour l'affamé et si tu rassasies l'opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l'obscurité sera pour toi comme le milieu du jour. » (Isaïe 58, 1-10)

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau