vendredi 16 décembre 2011

Interpréter les cris de notre monde

L’humanité vit de grandes perturbations. D’année en année on voit les glaces polaires disparaitre dans l’océan. Depuis 1988 c’est la crise financière qui perturbe tout l’Occident. Plus récemment le printemps arabe nous a surpris par sa vigueur mais aussi par son aspect sanglant. Et plus récemment, c’est le cri des « indignés » qui a résonné dans nos parcs. Quoi comprendre dans tout cela? Et selon quels critères analyser de tels phénomènes complexes et disparates, mais liés d’une façon ou d’une autre à une mondialisation pleine de promesses et de menaces.

À travers les cheminements de sa séculaire existence, l’Église catholique développe des critères de discernement sur les événements de l’histoire humaine intégrée inéluctablement à l’histoire de toute la création. Nous trouvons là une richesse de réflexions illuminées de l'intérieur par la Parole de Dieu. Cet enseignement social s’est peu à peu élaboré en réponse aux souffrances et aux défis des diverses époques. C’est en effet une longue tradition que les croyants cherchent à discerner les gémissements et les douleurs d’enfantement de l’humanité dans la méditation de la Parole et dans la prière.

Le Concile Vatican II, en particulier dans sa Constitution pastorale nommée « Gaudium et Spes », nous fournit de précieux enseignements pour relancer cette attention au monde, à ses aspirations et à ses souffrances. L’Église s’y affirme au service des humains dans leurs cheminements historiques : « De nos jours, saisi d’admiration devant ses propres découvertes et son propre pouvoir, le genre humain s’interroge cependant, souvent avec angoisse, sur l’évolution présente du monde, sur la place et le rôle de l’homme dans l’univers, sur le sens de ses efforts individuels et collectifs, enfin sur la destinée ultime des choses et de l’humanité. Aussi le Concile, témoin et guide de la foi de tout le Peuple de Dieu rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de solidarité, de respect et d’amour à l’ensemble de la famille humaine, à laquelle ce peuple appartient, qu’en dialoguant avec elle sur ces différents problèmes, en les éclairant à la lumière de l’Évangile, et en mettant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que l’Église, conduite par l’Esprit Saint, reçoit de son Fondateur. C’est en effet l’homme qu’il s’agit de sauver, la société humaine qu’il faut renouveler. C’est donc l’homme, l’homme considéré dans son unité et sa totalité, l’homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté, qui constituera l’axe de tout notre exposé. » (Par. 3.1).

Le même texte conciliaire pose un autre jalon essentiel quand il affirme que l'Église veut répondre aux appels de l'Esprit qui se font entendre à travers les événements et les requêtes de notre temps : « Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le Peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines.» (Par. 1.1)

Cette réflexion se continue aujourd’hui. Elle se situe dans le contexte doctrinal du présent pontificat sur ces questions. Nous trouvons cet enseignement de Benoît XVI dans sa lettre encyclique « Caritas in veritate » sur « le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité ». Benoît XVI y affirme que c’est de l’amour riche de vérité que procédera le vrai développement humain intégral. « L’amour dans la vérité (Caritas in veritate), dont Jésus s’est fait le témoin dans sa vie terrestre et surtout par sa mort et sa résurrection, est la force dynamique essentielle du vrai développement de chaque personne et de l’humanité tout entière. L’amour – « caritas » – est une force extraordinaire qui pousse les personnes à s’engager avec courage et générosité dans le domaine de la justice et de la paix. C’est une force qui a son origine en Dieu, Amour éternel et Vérité absolue. » (par. 1) Le pape rappelle aussi que la dignité inviolable de la personne humaine et la valeur transcendante des normes morales naturelles  (par. 45) sont les piliers de l’éthique humaine.

Ce texte est dense et riche. Il traite des questions fondamentales qui tourmentent notre monde de plus en plus ballotté par les « lois du marchés » qui font couler tant de larmes et de sang sur la planète, et surtout parmi les plus pauvres. Ce texte appelle donc une lecture attentive et sans doute quelques relectures pour en saisir la richesse et le dynamisme. Il mérite aussi d’être accueilli et approfondi dans des petits groupes imbibés d’Évangile et des gémissements de notre monde, de notre Église et de l’Esprit.

Nous y entendons un écho de l’appel évangélique à la conversion si fortement répercuté par notre liturgie de l’Avent et de Noël. Nous sommes conviés à revenir à l’orientation décisive demandée par Jésus et à développer un regard nouveau sur les choses, les événements. C’est un appel à discerner dans les souffrances et cris de notre monde ce que Dieu nous demande; nous comporter entre nous comme des enfants d’un même Dieu et tous frères et sœurs. Nous sommes appelés à cette vigilance alors que nous marchons dans les obscurités de l’histoire, « jusqu'à ce que paraisse le jour et que l'étoile du matin se lève dans vos cœurs. » (2 Pierre 1, 19).

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau