dimanche 6 novembre 2011

Un retour à mes racines abitibiennes

J’ai récemment pu faire une brève visite à Amos. C’est le lieu de ma naissance et c’est dans cette petite ville et dans la région environnante que j’ai vécu jusqu’à l’âge de 42 ans.

J’ai retrouvé la maison où j’ai vu le jour. C’est maintenant mon jeune frère qui l’habite. Elle a été bâtie en 1935 par mon père et mes oncles. C'était pour mes parents une belle amélioration car depuis leur mariage en 1921 ils vivaient dans une maison en bois ronds. J’ai été le premier des enfants à naître dans cette maison, le 6 octobre 1936. Ma mère reçut alors l’assistance d’une femme du rang devenue une sage-femme par la force des exigences de la vie. J’ai été chanceux de survivre aux périls qui menaçaient les enfants alors, ces maladies infantiles qui ont emporté cinq de mes frères et sœurs dans leur toute petite enfance.

Je nous revois le soir autour de la petite lampe à l’huile. Nous n’avions ni électricité, ni eau courante, ni bain, ni toilette intérieure. Je revois le vieux puits où nous descendions les bidons de crème pour que le contenu se conserve jusqu’au ramassage une fois par semaine. Je me rappelle la première fois que j’ai entendu une radio fonctionnant avec des piles et que j’ai entendu sonner un téléphone, ce mystérieux appareil.

Ce n'est pas sans émotions qu’on revient ainsi à ses racines! Toutefois, mes sentiments furent vite mêlés : souvenirs de tant de moments heureux mais aussi de peines et de difficultés! Je fus élevé sur cette petite ferme et j’ai travaillé avec mon père et mes frères à traire les vaches, à ramasser le foin en été durant mes vacances. Et j’ai vite compris que ma vocation n’était pas d’être un fermier. J’aimais trop faire des mots croisés à la lumière pâlotte du poêle à bois le matin très tôt, avant que les autres ne se lèvent et je ne me hâtais pas à aller travailler à l’étable. Je préférais lire des petits romans policiers appuyé sur une botte de foin au lieu de le ramasser à la petite fourche et de le charger sur la voiture traînée par deux gros chevaux.

L’asphalte couvre maintenant le gravier du chemin passant devant la maison. La petite école du rang est disparue. Bien des maisons furent bâties dont je ne connais pas les habitants. Est-ce encore mon rang? Mais je n'y ai pas vécu longtemps en fait. Dès l’âge de 12 ans j’ai quitté ma famille pour le Séminaire d’Amos. Ce n’était pas loin de la ferme, seulement à 5 milles, mais faire le voyage avec la voiture traînée par les chevaux était long. J’étais pensionnaire. À chaque dimanche mon frère ou ma sœur passait au collège pour prendre mon linge à laver et rapportait le linge propre. Je m’y suis beaucoup ennuyé. Certes, ca allait bien dans les études. Mais je n’étais ni sportif, ni très social! Alors, ce temps du Collège fut pour moi difficile. J’apprécie toutefois garder le contact avec mes confrères d’étude d’alors.

Ordonné prêtre le 27 mai 1961, il y a donc 50 ans, je suis revenu au Collège, pensant y enseigner toute ma vie. Et j’ai eu la chance de me spécialiser en philosophie à l’Université Laval et à l’Institut catholique de Paris. Mais dès 1967, la décision prise de ne pas avoir de CEGEP à Amos a changé mon destin, a fait dévier, aujourd’hui je dirais a orienté droitement, mon chemin. J’ai vécu pendant des années à l’évêché d’Amos, travaillant dans les paroisses avec les prêtres et beaucoup de laïcs. J’y ai appris mon vrai métier, celui de pasteur. J’ai passé les quelques nuits de ma récente visite dans cette chambre où j’ai tellement lu, écrit, rêvé, créé des projets de toutes sortes. Ce furent des jours heureux.

J’ai revu l’impressionnante cathédrale d’Amos avec son dôme dominant toute la campagne environnante. C’est là que j’ai été baptisé, que j’ai vécu ma première confession (et bien d’autres par après), ma confirmation, ma première communion. J’y fus le curé de mes parents et de tant de personnes connues, leur offrant la Parole, les sacrements, une présence pastorale. Ce fut un bon temps d’apprentissage.

Nommé évêque, j’ai vécu le tournant de l’Abitibi vers la Côte-Nord, puis vers l’Outaouais. Un autre tournant est devant moi : celui de ma retraite.  J’espère que je saurai le négocier avec cœur, rêver de nouvelles créativités, chercher de nouvelles relations dont j’ai besoin pour m’enrichir et partager encore quelque chose de ces expériences qui vivent toujours dans mon cœur.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau