jeudi 17 novembre 2011

Euthanasie et suicide assisté

Les sondages affirment qu’une majorité de personnes au Québec se disent favorables à l’euthanasie et au suicide assisté. Déjà en 1989 il y eut de nombreux débats sur le sujet autour du projet de bill privé C-384 devant le parlement canadien. Le débat est maintenant relancé par un recours devant les tribunaux de la Colombie-Britannique. Cette question n’est pas banale. C’est là un enjeu de justice sociale, de santé et de sécurité publiques, d’éthique.

La culture d'aujourd’hui nous rend particulièrement sensibles au vécu des personnes. Devant la souffrance, notre réaction, et c’est profondément humain, en est d’abord une de compassion. Nous ne devons pas juger la personne ravagée par la souffrance physique ou psychique mais au contraire nous en faire proches. Mais il me semble fondamental de nous demander quelles sortes de choix cette compassion appelle de nous.

Vivons-nous actuellement un affaiblissement sérieux des liens humains capables de nous rendre disponibles pour soigner, selon le slogan d’une cinquantaine de groupes du Royaume-Uni : « Care not killing » ? Développons-nous une façon de voir la vie et la mort en termes de performance, de « durée de vie utile », plutôt qu’en termes de dignité inaliénable de la personne humaine, quelle qu’elle soit? Quel type de société voulons-nous ? Inclusive ou exclusive ? Comment se fait-il que les soins palliatifs, qui pourtant ont fait leurs preuves, sont si peu développés ?

Danger pour les personnes les plus fragilisées
Une ouverture à l’euthanasie et au suicide assisté, même balisée légalement, est-elle nécessaire? Un tel changement m’apparaît en fait dangereux. Les membres les plus blessés de la société pourraient alors s’expérimenter comme un poids pour les autres et ressentir le « devoir de mourir ». Comme société, saurons-nous entendre le cri d’angoisse des personnes les plus vulnérables et les plus faibles de notre société ? Et puis, que va devenir la relation de confiance tellement fondamentale avec le médecin ?

À mon avis légaliser ces actes de mort n’est  pas la traduction adéquate de la compassion et de la sollicitude nécessaires devant les personnes souffrantes. Être compatissant, c’est assurer aux plus vulnérables d’entre nous, dont les personnes très souffrantes et mourantes, les soins appropriés et le contrôle de leur douleur, en autant que possible, en même temps qu’un support social, affectif et spirituel.  Cette fidélité à une présence, à une tendresse, à un amour donne au malade un sens profond de sa valeur unique. Une personne en soins palliatifs affirmait : « Ici, il ne me reste que l’essentiel. Et vous m’aidez à le vivre. Je suis émerveillée de découvrir tant d’amour. Je n’aurais jamais imaginé pareil miracle ».

Que signifie cette expression? Notre dignité ne dépend pas de notre état de santé, de l’absence de souffrance ou de la valeur que nous reconnaît la société. La vie de toute personne possède une valeur et une dignité uniques et inhérentes que ne modifient jamais les circonstances de la vie. Je pense que la dignité de la personne très malade, en phase terminale, lourdement handicapée, est le mieux respectée par le souci amical et l’écoute compréhensive. De telles attitudes permettent au malade d’entrevoir sa mort avec sérénité, dans la paix. N’est-ce pas cela, une mort dans la dignité ?

Est-ce que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne risque pas de servir comme exutoire à nos émotions et nos peurs devant la souffrance, le handicap grave et la mort? Et alors ne serait-ce pas une solution de facilité, réduite à des dimensions techniques, pour une situation humaine qui nous confronte tous et toutes à notre propre destin, à notre liberté et à notre fragilité? En fait, quel impact une telle loi risque-t-elle d’avoir sur ma propre vie fragile et qui un jour me conduira devant ma mort? Et quel impact va-t-elle provoquer sur mes relations avec les personnes proches de moi, toutes aussi fragiles et qui risquent un jour de me demander de leur donner la mort ou de leur aider à se la donner?

Qu’est-ce qui arrive après la mort?
En somme, cette question du suicide assisté et de l’euthanasie ne peut pas se réduire à une question légale. Albert Camus demandait « de ne pas se dérober à l’implacable grandeur de cette vie ». Et Jacques Attali a écrit : « Nos sociétés sont de plus en plus fondées sur l’éphémère, privilégiant le court terme et l’immédiat, laissant devant un vide total face à la seule question qui le concerne : qu’est-ce qui arrive après la mort? ». Cette question vertigineuse. Finalement une réponse est seule capable de vraiment éclairer ce dont notre société débat ici, et qui nous concerne tous et toutes, tant dans notre présent que dans notre avenir. Et des propositions sérieuses et positives de réponses existent. Cette question mérite donc une très sérieuse réflexion, branchée sur notre vécu quotidien et notre destin humain.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau