dimanche 2 octobre 2011

Mes 75 ans

Pour un évêque catholique, atteindre l’âge de 75 ans, c’est toucher une borne kilométrique qui lui indique un carrefour. Après cette date, son rythme d’activités et ses orientations d’engagements vont sans doute changer.  Car, comme le lui dit le Code de droit canonique : « L’Évêque diocésain qui a atteint soixante-quinze ans accomplis est prié de présenter la renonciation à son office au Pontife Suprême qui y pourvoira après examen de toutes les circonstances » (canon 401). Dans quelques jours (6 octobre 2011), ce texte s’appliquera à moi.

Je laisse repasser dans la mémoire de mon cœur la vidéo de ma vie.  Je revois mon enfance sur une ferme à Amos.  Mes parents y ont été des défricheurs.  Notre ferme était bien humble, mais permettait à la famille de vivre.  J’ai vite perçu que ma vocation n’était pas là. Il y avait la petite école du rang.  Mes parents et l’école primaire ont semé en moi une orientation de travail, de prière, de confiance en Dieu qui a marqué ma vie.

À la fin de mes études au collège d’Amos, l’appel à devenir prêtre s’est précisé dans mon cœur.  Je me revois prendre le chemin du Séminaire St-Paul d’Ottawa pour mes études théologiques. J’y ai vécu quatre années studieuses et calmes. Et dès mon ordination en 1961,  je suis nommé au collège d’Amos pour enseigner la philosophie.  Je pensais bien y passer ma vie. Cela n’a duré que quelques années.  À l’automne 1967, je fais le pas qui va changer radicalement ma vie : j'accepte d’œuvrer dans la pastorale du diocèse d'Amos.

Je me rappelle ces années d’un enthousiasme un peu débridé, d’un engagement sans limites.  Ce fut un temps d’expériences constructives et d’amitiés solides. Cet élan a duré jusqu’à ce que Jean-Paul II me nomme en 1979 évêque de la Côte-Nord.  Les grands espaces, les communautés très diversifiées, les beautés du fleuve, tout y a canalisé mes énergies encore jeunes, en plein maturité.  Que de visages de mineurs, de pêcheurs, de jeunes, d’autochtones, que de situations drôles ou dramatiques reviennent à ma mémoire.

Puis ce fut en 1988 le transfert à Gatineau.  Il y a quelque chose de dramatique à se sentir comme un vieil arbre déraciné à qui on demande de continuer à donner des fruits ailleurs! J’ai vécu ce nouvel enracinement de tout mon cœur.  Il fut je pense réussi.  J’ai mieux ici découvert la ville avec ses richesses et ses exigences.  J’ai œuvré dans un diocèse encore jeune, marqué par Vatican II et ses options fondamentales.  Ici, prêtres et laïcs œuvrent de multiples façons à vivre l’Évangile au quotidien.  La barque est parfois brassée fortement mais tient le coup!  Et je continue à naviguer jusqu’à ce que le Pape accepte ma démission et me nomme un successeur.

La vidéo de ma vie s’est déroulée trop vite.  J’aurais le goût de revoir bien des scènes. Ces images trop fugaces ne disent rien des jours lumineux et des nuits ténébreuses qui ont formé le tissu de ces années, ni des liens noués ou rompus.  Comme dans toute aventure humaine, j’ai eu de grandes joies, de beaux rêves, de merveilleux espoirs, mais aussi de cuisantes défaites et blessures, des déceptions et des peines.

Je suis ce que je suis devenu à travers ce tissage qui se fait et défait selon les temps, les lieux et surtout les personnes fréquentées.  À la toute veille de ces 75 ans, il me reste dans le cœur le goût de rendre de multiples actions de grâces à Dieu.  Il a semé dans mon cœur dès mon enfance un attrait pour lui.  Peu à peu il s’est révélé dans sa grande miséricorde, dans son étonnante fidélité.  Il m’a fait expérimenter, par un don lumineux de l’Esprit, la beauté et la chaleur d’une amitié avec Jésus.  Je me suis aussi lié d’amitié avec des saintes et de saints, ces amis de Jésus.  Je pense à Thérèse de l’Enfant Jésus, à François d’Assise.  Je pense aussi à toutes ces personnes, hommes et femmes, qui ont bâti les débuts de la société et de l’Église au Québec : Marie de l’Incarnation, les saints martyrs canadiens, Mgr de Laval, Catherine de Saint-Augustin, Jeanne Mance, Maisonneuve et tant d’autres.

Oui, je rends grâces à Dieu.  Il a caché un trésor dans mon cœur.  Il me reste à encore l’explorer et en vivre. Voilà un beau programme pour ma retraite.

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau